Compte rendu, Concours

Le Jeune & Janson (Edition 2025)

par Marie-Noëlle LIPPENS-DE CERF
Avocate au barreau de Bruxelles 

par Romain VANDENHEUVEL
Journaliste

Le 15 mai 2025 a eu lieu l’édition 2025 du célèbre concours de plaidoiries “Le Jeune et Janson”, au cœur du Palais de justice de Bruxelles.

Cette année, ils étaient douze candidats. Les jurés, eux, étaient au nombre de… vingt. Cette légion n’a toutefois pas fait perdre leurs moyens à nos candidats (sans mauvais jeu de mots).

Docere, placere, movere, “instruire, plaire et émouvoir” : telles étaient les trois consignes empruntées à Cicéron et données par la Conférence du jeune barreau de Bruxelles aux avocats-stagiaires de deuxième et troisième années inscrits à cette édition.

La parole est d’abord donnée à Me Charline Delval1 qui plaide l’abolition du terme “méritocratie” devant l’Académie française. Selon elle, la méritocratie ne serait qu’un mensonge, un déguisement, une illusion. Me Delval a captivé son audience par son audace et son autodérision, faisant référence à elle-même lorsqu’elle aborde la question des privilèges – “Charline a le cul dans le beurre”-, mais aussi en citant les prénoms de la Bâtonnière, du Vice-bâtonnier et des Commissaires, afin de tenter de prouver par A plus B que le fait de porter un prénom plutôt qu’un autre détermine les cartes que l’on a en main dès la naissance. Nous avons également apprécié son utilisation appliquée des silences et du rythme au fil de son oration.

Me Gabrielle Mathues2 emboîte le pas à Me Delval, dans un thème toujours aussi engagé contre les discriminations. Elle a choisi un sujet aussi original qu’actuel : l’investiture d’une Papesse. Me Mathues débute sa plaidoirie en rappelant les noms de grandes dames qui ont marqué l’Histoire : Marie Curie, Paule Lamy, Valentina Terechkova, Marie Dupont. Elle poursuit en citant le Pape François lui-même, et nous offre une profusion de références à des films, des chansons, et surtout, un assortiment de jeux de mots, tant subtils que drôles, mêlant termes juridiques, fruits et pâtisseries, afin de dénoncer le patriarcat et la place des femmes dans la société : “La pomme d’Adam leur est déjà restée en travers de la gorge, c’en fut assez.”

Le Jeune et Janson

Après ces deux avocates engagées, c’est Me Arthur Focquet3 qui prend la parole.  Il représente un Confrère qui fit défaut à l’audience en raison d’une situation un peu cocasse : …une gueule de bois. Selon Me Focquet, en ne se présentant pas, ce Confrère a non seulement fait preuve de lucidité, mais également d’un respect admirable du Tribunal, de la déontologie, et des droits fondamentaux. Et même davantage: il a démontré un véritable acte d’amour envers la justice. Madame la Bâtonnière est à nouveau citée dans ce concours, quel succès !

Ensuite de cette plaidoirie teintée d’ironie, place à un discours une fois encore humoristique, mais surtout moderne et instagrammable. Me Célia Scliffet4 nous offre un véritable guide pratique afin de dépoussiérer la profession d’avocat et de nous apprendre à nous investir sur l’agora numérique. Selon Me Scliffet, droit et réseaux sociaux ne seraient pas des figures antagonistes, au contraire : ils se complètent. Cependant, elle met en garde : il ne faut pas se perdre dans cette visibilité. Dans la profession d’avocat, ce sont les principes du droit qui doivent primer, et non le nombre de vues. Me Scliffet a plu à son public en plaidant avec coffre et une diction soignée.

Autre sujet original de plaidoirie : les Jeux Olympiques, par Me Anissa Batik5. Me Batik le plaide avec conviction : la profession d’avocat mérite d’être élevée au rang de discipline olympique. Elle clame : “Citius, altius, fortius : plus vite, plus haut, plus fort !”. Certains d’entre nous se sont reconnus dans les efforts qui paraissent parfois olympiques dans notre profession. Les athlètes sont applaudis, tandis que les avocats, eux, se voient bien trop souvent critiqués. Et que dire des BAJistes, qui doivent presque concourir avec des moyens paralympiques ? Une plaidoirie pleine d’énergie et de clins d’œil à notre métier.

A la grande surprise de l’assemblée, la candidate suivante choisit de mettre à l’honneur des figures emblématiques que nul n’a pu ignorer ces dernières décennies : les échafaudages du Palais de justice de Bruxelles. Si leur disparition en réjouit plus d’un, pour Me Armelle Zazulec6, elle est synonyme de catastrophe, symbole d’une justice délabrée. Sa plaidoirie a conquis le public grâce à une visite imagée, presque théâtrale, des lieux, menée pas à pas. Elle a su capter son auditoire en évoquant des situations auxquelles chacun pouvait s’identifier.

Le Jeune et Janson

Peut-on aimer le fait d’hésiter ? Me Samia Krissane7 vous répond que oui. Attention toutefois, elle ne parle pas de n’importe quelle hésitation, mais bien de la véritable hésitation. Celle qui vous fait réfléchir. Bien loin d’une simple indécision sans courage, la véritable hésitation requiert de la bravoure. De grands hommes, comme Martin Luther King, hésitaient sans cesse. Mais pourquoi la défendre ? Me Krissane dénonce, par sa plaidoirie, l’instantanéité de notre époque. Tout va trop vite, à défaut d’une réflexion approfondie. En réalité, Me Krissane fait l’éloge de la lenteur, et nous invite à nous recentrer sur l’hésitation. C’est elle qui aiguise notre intelligence, et forge notre indépendance.

Dans une plaidoirie piquante et incisive, Me Necim Triki8 prend la défense de l’alcool. Du moins, c’est ce que l’on croit. Après avoir développé ses arguments en faveur de la “petite Jup. 25” des jours de soleil et de la flasque dégainée en salle d’audience à l’aide d’une réforme en trois déclinaisons, le masque tombe. Sa plaidoirie cachée est tout autre : son véritable objectif, c’est de défendre la légalisation du cannabis. Un retournement de situation construit par une démonstration par l’absurde : “On parvient très bien à s’accommoder de la présence massive d’un produit qui, s’il était livré à lui-même, ferait des ravages.” En fin de compte, une interdiction pure et simple du cannabis n’a pas de sens. Tout comme pour l’alcool, Me Triki invite à apprivoiser, tolérer, régulariser le cannabis. Une plaidoirie à consommer sans modération, signée Me Triki, l’un des deux gagnants du prix Boels.

Le Jeune et Janson

“Un visage imposé, que nul n’a choisi ?” C’est avec assurance que Me Adrien Pironet9 pose cette question. A quel visage fait-il référence ? A celui du Roi. Lors de sa plaidoirie, Me Pironet propose l’abolition de la monarchie en faveur de la république. D’abord, parce que historiquement, le peuple n’en a pas décidé ainsi. Ensuite, parce que le rôle du Roi n’est en réalité pas si important que cela, ce qui rend absurde le serment prêté par les avocats au Roi, ce dernier ne pouvant exercer le pouvoir seul. Une question déplacée ? Me Pironet s’en défend : il est du devoir de l’avocat d’avoir le courage de poser ce genre de question. Pour notre Confrère, il ne faut pas remettre en cause le Roi d’un point de vue historique, mais dans son actualité. À quelques années du bicentenaire de la Belgique, faut-il conserver le statu quo, ou le remettre en question ?

Quittons la monarchie pour une plaidoirie remarquée pour son originalité. Me Victoria Bosly10 met sur le devant de la scène un droit bien particulier : le droit d’être aimé. “Un concept si vague et si concret à la fois” précise l’avocate. Un droit qui nous permet en fait d’exister. Qui nous traumatise si nous n’y avons pas accès, surtout durant l’enfance. Finalement, par son caractère inégalitaire, n’est-ce pas le pire des droits? Selon Me Bosly, il est contre-productif de condamner à une peine de prison des individus qui n’ont pu en bénéficier. Le système n’est pas conçu pour aider celles et ceux qui se retrouvent dans les pires situations, notamment par manque d’amour. Au contraire, il les enterre. Que devrions-nous faire? Les éduquer, oui, mais surtout les aimer, nous répond Me Bosly. Une plaidoirie qui sort des sentiers battus, saluée par l’audience.

Les deux derniers candidats, Me Antoine Renders11 et Me Laura Senturk12, furent les grands lauréats de cette édition. Leur sujet, à la fois actuel et audacieux, portait sur le procès de Marine Le Pen.

Me Renders commence par défendre Marine Le Pen : “La justice ne peut pas interférer dans la politique.” La salle d’audience se crispe instantanément. Ce plaideur est-il sérieux, ou s’agit-il d’une plaisanterie ? Me Renders va jusqu’à oser citer Poutine, qui déplorerait « une violation des normes démocratiques ». Chacun des gestes du candidat est parfaitement maîtrisé, jusqu’à la manière dont il empoigne ses feuilles pour les déposer ensuite afin de rythmer sa plaidoirie. Son ironie et son humour ont largement séduit l’auditoire, lui valant le Prix Janson 2025.

Me Senturk – la seconde gagnante du prix Boels -, quant à elle, défend avec gravité et conviction les valeurs de la démocratie. Elle plaide avec éloquence et fluidité : “Le suffrage est l’arme du peuple. La justice en est le bouclier. Et ce bouclier commence par l’intégrité de ceux qui prétendent représenter tous les autres.” “Il faut des lois. Pour poser des limites. Des boucliers. Des remparts.” Elle soutient avec force la culpabilité de Marine Le Pen et affirme qu’elle doit assumer la condamnation qu’elle mérite. Pour conclure, elle cite les propres paroles de Marine Le Pen, qui prônait l’inéligibilité. Drop the mic. Comment ne pas lui attribuer le Prix Le Jeune 2025 ?

Me Antoine Renders et Me Laura Senturk s’imposent ainsi comme les grands gagnants de cette édition. Le premier s’est distingué par une énergie extravertie et une ironie mordante, tandis que la seconde a fait preuve d’une ténacité remarquable. Sans conteste, ils forment une véritable “équipe de choc” à qui nous adressons toutes nos félicitations.

Cette édition 2025 nous a offert le plaisir d’entendre de jeunes orateurs talentueux et prometteurs. Docere, placere, movere : on est bons, le défi a été relevé avec brio !

Pour conclure, nos candidats ont partagé le célèbre rosé tiède, cette fois servi non au vestiaire des avocats, mais à l’incontournable café des Minimes, avant un délicieux dîner organisé par la Conférence.

Bravo à tous, et vivement la prochaine édition !